Le « Pacte budgétaire européen », l’austérité et la démocratie

Peut-on dire que la probable ratification par le Parlement français du « Pacte budgétaire européen » constitutionnalise l’austérité et retire à la représentation nationale le pouvoir financier qui, depuis des siècles, est au cœur de ce qui légitime l’élection d’un Parlement au suffrage universel ?



Répondre à cette question brûlante suppose d’abord de préciser le contenu de ce nouveau traité, puis de mesurer l’ampleur du dessaisissement des autorités démocratiquement légitimes qu’il opère, pour déterminer si oui ou non « l’austérité est constitutionnalisée ».

Le « Pacte budgétaire européen »

Le pacte budgétaire européen (officiellement « Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance », TSCG) a été signé le 2 mars 2012 par les chefs d’Etat et de gouvernement de 25 des 27 Etats membres de l’Union européenne (le Royaume-Uni et la République tchèque ayant refusé). Compte tenu des deux refus, il a été décidé de prendre la voie non des traités dits « européens », qui requièrent l’unanimité, mais des traités internationaux multilatéraux « ordinaires », qui entrent en vigueur entre les Etats qui l’ont ratifié dès lors qu’un certain nombre de ratifications est intervenu. Ce nombre a été en l’espèce fixé à 12 ratifications d’Etats membres de la zone euro et le TSCG entrera en vigueur le 1er mars 2013 si ce nombre est alors atteint.
A la mi-septembre 2012, 13 Etats ont déjà ratifié, dont 5 Etats membres de l’UE mais non de la « zone euro » (car ce traité leur est aussi ouvert). Restent donc à obtenir, pour que le traité entre en vigueur, 4 ratifications d’Etats membres de la zone euro, dont la France et la RFA, mais la récente décision du Tribunal constitutionnel fédéral allemand et les positions prises par les forces politiques dominantes dans ces deux pays laissent présager une ratification parlementaire sans grandes difficultés.

Le traité oblige les Etats parties à instituer une « règle d’or » (sic) budgétaire nationale, c’est-à-dire à avoir des budgets dont le « déficit structurel » (hors « variations conjoncturelles » et « mesures ponctuelles et temporaires », et sauf « circonstances exceptionnelles ») ne dépassera pas 0,5% du PIB (ou 1% du PIB si la dette est inférieure à 60% du PIB). Pour la France (au regard du PIB en 2011), le déficit serait ainsi limité à 21 milliards d’euros (ou à 42 milliards d’euros).

Cette règle devra être incorporée dans le droit de chaque Etat partie « au moyen de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles, ou dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon ».
En cas de dépassement du déficit ainsi autorisé, un « mécanisme de correction », qui « respecte pleinement les prérogatives des Parlements nationaux » (sic : en réalité, seules les prérogatives procédurales sont respectées, car les Parlements sont tenus au respect des traités…), est mis en place dans chaque pays concerné « sur la base de principes communs proposés par la Commission européenne ». Les Etats parties membres de la zone euro « s’engagent à appuyer les propositions ou recommandations de la Commission européenne » sauf si une majorité qualifiée d’Etats membres de la zone euro s’oppose à ces propositions ou recommandations.

Tout Etat partie qui constate qu’un autre Etat partie ne respecte pas la « règle d’or » (sic), que la Commission ait ou non caractérisé un manquement, peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne qui peut infliger à l’Etat « fautif » une amende ou une astreinte pouvant aller jusqu’à 0,1% de son PIB (soit pour la France, chiffres 2011, 2,1 milliards d’euros).

A partir du 1er mars 2013, un Etat devra avoir ratifié le TSCG pour avoir accès au « Mécanisme européen de stabilité »…
Enfin, la « gouvernance » de la zone euro sera assurée par la réunion « de manière informelle » (sic) des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats parties qui en sont membres dans des « sommets de la zone euro » se réunissant au moins deux fois par an. Le « président du sommet de la zone euro » (sic) est élu par les participants à la majorité simple pour deux ans et demi. Le président de la Banque centrale européenne « est invité à participer à ces réunions » ; le Président du Parlement européen « peut être invité à être entendu »… Le président du sommet de la zone euro présente un rapport au Parlement européen après chaque sommet de la zone euro, et les Parlement européen et nationaux « définissent ensemble l’organisation et la promotion d’une conférence » réunissant leurs commissions respectives compétentes en matière budgétaire « afin de débattre des politiques budgétaires » et des questions régies par le traité.

Dessaisissement des instances démocratiquement légitimes

L’objet de ce traité est de limiter considérablement le pouvoir budgétaire des Etats membres en leur interdisant toute politique de relance ayant un impact significatif. Ce pouvoir, dans toutes les démocraties, relève de Parlements émanations du suffrage universel.
Les mesures de « correction » et de sanction prévues par le Traité sont élaborées par des instances (Commission européenne et Cour de justice de l’Union européenne) qui n’émanent ni l’une ni l’autre du suffrage universel. La seule institution de l’Union qui en émane directement, le Parlement européen, ne se voit confier aucun pouvoir de décision et ne sera tenue informée qu’a posteriori.
Quant aux décisions de politique budgétaire européenne, elles sont prises par des « réunions informelles » de « chefs d’Etat et de gouvernement » auquel s’adjoint le Président de la Banque centrale européenne, sans aucun contrôle par les citoyens ni par le Parlement européen (dont le Président ne sera présent que si les chefs d’Etat et de gouvernement décident de l’inviter ponctuellement).

Ainsi, ce qui est retiré à la démocratie à l’échelle nationale n’est attribué à aucune instance de légitimité et de responsabilité démocratiques équivalentes à l’échelle européenne.
Constitutionnalisation de l’austérité ?

Le Traité n’oblige pas formellement les Etats parties à inscrire dans leur Constitution, comme le souhaitait Nicolas Sarkozy, la « règle d’or » (sic) interdisant toute politique de relance budgétaire… mais il les oblige à adopter des « dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles, ou dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon ».

Le Parlement français, conformément à la décision prise par François Hollande, va donc voter une « loi organique », c’est-à-dire une règle de niveau inférieur à la Constitution mais supérieur aux lois ordinaires et notamment aux « lois de finances » (nom juridique des lois budgétaires). Le résultat, dans un cas comme dans l’autre, est que le Parlement sera lié quelles que soient les majorités politiques à venir, et le Conseil constitutionnel y veillera (il contrôle aussi le respect par les lois ordinaires des lois organiques en matière budgétaire). La seule différence avec ce que souhaitait l’ancien Président de la République est qu’il est un peu moins difficile de revenir sur une loi organique que sur une disposition constitutionnelle.

On ne peut donc pas dire que la politique décidée en février-mars 2012 par Nicolas Sarkozy et par ses collègues de la zone euro est « constitutionnalisée » au sens strict du terme. Mais elle est sans aucun doute gravée dans un marbre qui retirera au Parlement issu du suffrage universel l’essentiel de son pouvoir budgétaire, ce qui, du point de vue de la démocratie, revient pratiquement au même.

Communiqués de la LDH

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