23 juin 2021 – Tribune collective “Stop à la dérive répressive des politiques pénales contre les militant-e-s anti-nucléaires” publiée sur Mediapart

Du 1er au 3 juin 2021, s’est tenu, devant le tribunal judiciaire de Bar-le-Duc, le procès de sept militant-e-s prévenu-e-s notamment du chef d’association de malfaiteurs concernant la manifestation du 15 août 2017 contre le projet de centre d’enfouissement de déchets radioactifs à Bure, en Lorraine (« Cigéo »).

Malgré le vide du dossier d’instruction qui est clairement apparu lors de l’audience, le procureur a tout de même requis des peines d’emprisonnement à l’encontre de ces militant-e-s, dont une ferme. Le délibéré sera rendu le 21 septembre 2021.

En principe, l’infraction d’association de malfaiteurs est en lien avec la criminalité organisée. Pourtant, elle est aujourd’hui reprochée à des activistes écologistes pour tenter de les décourager de poursuivre leurs actions et bloquer ainsi les luttes politiques.

Cette judiciarisation outrancière des mouvements sociaux qui contestent la politique du gouvernement devient, jour après jour, l’outil de dissuasion et de répression privilégié des autorités.

L’association de malfaiteurs est classée dans la catégorie des « crimes contre la nation, l’Etat et la paix publique » (titre IV du code pénal). Ce délit, né des lois qualifiées de « scélérates » par les partis de gauche, a été créé à la toute fin du XIXème siècle pour rassurer l’opinion publique face à l’apparition du mouvement anarchiste.

D’éminents chercheurs, professeurs et praticiens dénoncent aujourd’hui l’intensification du recours à cette infraction, qualifiée d’infraction « fourre-tout », qui représente nécessairement un risque pour la sauvegarde de nos libertés fondamentales.

En effet, la seule qualité de membre d’un groupement, indépendamment de tout acte délictuel caractérisé, est susceptible de justifier en pratique des renvois devant les juridictions correctionnelles pour association de malfaiteurs. Concrètement, ce fondement peut donc être utilisé alors même qu’aucune tentative de commettre une infraction n’est caractérisée, laquelle suppose au moins un début d’exécution.

La répression étatique contre les militant-e-s anti-nucléaires français-e-s a toujours été disproportionnée. Lors d’une manifestation organisée en 1977 contre la construction de la centrale nucléaire de Creys-Malville, les forces de l’ordre ont utilisé pas moins de 4 000 grenades, dont 400 offensives : un manifestant a été tué.

Quarante ans plus tard, au cours de la manifestation qui s’est tenue à Bure, un militant anti-Cigéo a eu le pied déchiqueté par une grenade lancée par les forces de l’ordre. D’un côté, le tribunal judiciaire de Bar-le-Duc juge, en juin 2021, des manifestant-e-s prévenu-e-s d’association de malfaiteurs ; de l’autre, le Parquet de Metz requiert un non-lieu dans l’information judiciaire ouverte des chefs de violences avec arme ayant entraîné une infirmité permanente au préjudice de ce militant, à jamais handicapé.

En Normandie, des activistes auxquels il serait reproché des actions non-violentes contre des transports de déchets radioactifs sont visés par une information judiciaire ouverte depuis 2017 du chef d’association de malfaiteurs. Aucune mise en examen n’a eu lieu.

Depuis plus de quatre ans et jusqu’à ce jour, des perquisitions ou des placements sous surveillance téléphonique sont susceptibles d’avoir été ordonnés ou d’advenir à chaque instant, sans qu’aucun mis en cause n’ait jamais eu accès au dossier.

Dans la Meuse, ce sont des dizaines de personnes placées sur écoute, un millier de discussions retranscrites, plus de 85.000 conversations et messages interceptés, plus de 16 ans de temps cumulé de surveillance téléphonique, une cellule de gendarmerie spécialement affectée à Bure, un recours à des appareils de surveillance qui récupèrent à distance les identifiants des cartes SIM dans les téléphones portables (IMSI- catcher) : tout cela pour monter un dossier d’instruction vide de près de 20 000 pages… Au total, l’Etat aura dépensé plus d’un million d’euros dans cette surveillance du mouvement anti- nucléaire.

D’autres procès de militants et militantes anti-nucléaires sont fixés dans les prochains mois, pour des intrusions non-violentes dans les centrales de Tricastin en 2020 et Cruas en 2017.

L’industriel nucléaire EDF, poursuivant un objectif de bâillonner les désobéissant-e-s, ne réclame pas moins de 500 000 euros en réparation de son préjudice moral dans la première affaire dont l’audience se tiendra le 29 juin prochain au tribunal correctionnel de Valence.

Dans le dossier Cruas, les militants et l’association Greenpeace France ont été condamnés en première instance à payer 50 000 euros en réparation du préjudice moral d’EDF et plus de 670 000 euros au titre de son préjudice économique. Ils ont évidemment interjeté appel du jugement. Jamais de telles condamnations n’avaient été prononcées en France et à l’international pour des actes non-violents de désobéissance.

Bien au contraire, des juridictions à l’étranger reconnaissent souvent la légitimité de ce type d’actions. Ainsi, les juridictions australiennes ont relaxé des fins de la poursuite des activistes introduits dans des centrales nucléaires au motif que, dans le débat démocratique, manifester à l’extérieur des centrales ne saurait avoir le même impact qu’une intrusion.

En France, la montée en puissance de la répression contre les militant-e-s se caractérise par les choix systématiques du Parquet de poursuivre, placer en garde à vue, faire payer des amendes, relever des empreintes et ouvrir des enquêtes ou informations judiciaires. A cela s’ajoute un durcissement législatif que la récente adoption de lois liberticides contre la société civile, telles que les lois sécurité globale et séparatisme, illustre parfaitement.

Il s’agit donc d’un nouveau basculement inquiétant de notre justice contre des désobéissant-e-s civil-e-s sur des sujets d’intérêt général pour lesquels les communautés scientifiques tirent la sonnette d’alarme depuis des décennies, sans qu’aucune prise en considération digne de ce nom n’émerge dans les politiques publiques.

Alors que l’Etat s’attache à « réprimer par prévention » ces militant-e-s, aux moyens d’enquête et de peines disproportionnées, les manquements des industriels aux règles de sûreté nucléaire demeurent, eux, presque toujours impunis, et les peines infligées ridiculement basses et trop peu appliquées.

Signataires :

Laura Monnier, juriste à Greenpeace France
Marie Frachisse, juriste à Réseau “Sortir du nucléaire”
Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme
Marie Dosé, avocate au barreau de Paris
Samuel Delalande, avocat au barreau de Rennes
Claire JosserandSchmidt, avocate au barreau de Paris
Vincent Brengarth, avocat au barreau de Paris
William Bourdon, avocat au barreau de Paris
Élise Van Beneden, avocate au barreau de Paris
Jeanne Sulzer, avocate au barreau de Paris
Emmanuel Daoud, avocat au barreau de Paris
Julie Gonidec, avocate au barreau de Paris
Jérôme Karsenti, avocat au barreau de Paris
Nabil Bouni, avocat au barreau de Paris
Rémi Bonnefont, avocat au barreau de Paris
Etienne Ambroselli, avocat au barreau de Paris

Communiqués de la LDH

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