Lettre ouverte au Président de la République Française à l’occasion de la visite en France du Secrétaire général du Parti Communiste Vietnamien Nguyen Phu Trong

Lettre ouverte du VCHR, de la FIDH et de la LDH

 

Monsieur le Président de la République,

Vous avez invité le Secrétaire général du Parti Communiste du Vietnam Nguyen Phu Trong du 25 au 27 mars 2018 pour une visite officielle, à l’occasion du 45e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et le Vietnam ainsi que du 5e anniversaire du Partenariat stratégique entre les deux pays. Ce faisant, la France va recevoir comme un Chef d’État ou de gouvernement le chef d’un parti politique, le Parti Communiste du Vietnam (PCV).

Certes, le PCV n’est pas un simple parti, mais le Parti unique au pouvoir au Vietnam, un parti qui, en novembre dernier, a interdit à ses membres de soulever les questions de démocratie, de séparation des pouvoirs ou de pluralisme sous peine d’expulsion.

Vous avez fondé votre mandat sur la participation active de la société civile à la vie politique du pays. L’homme que vous avez invité représente un régime qui, à l’inverse, étouffe la société civile vietnamienne et cherche à détruire l’aspiration même de chaque citoyen à s’intéresser aux affaires publiques, en dehors du fait d’applaudir aux décisions opaques des dirigeants. C’est cet homme qui a déclaré que « le communisme est mieux que la démocratie ». Vue la répression en cours — une des pires depuis l’ouverture économique du Doi Moi en 1986, nous voyons bien qu’il parlait de l’appareil sécuritaire et policier légué par le totalitarisme.

La répression contre la société civile vietnamienne est ainsi pensée, planifiée et organisée. Sous prétexte d’établir un État de droit, le régime vietnamien a en réalité instauré une véritable « dictature par le droit » en adoptant des lois qui criminalisent l’exercice même des droits fondamentaux. Les articles du Code pénal sur la « sécurité nationale » constituent ainsi l’épine dorsale de la répression contre les dissidents, les blogueurs, les journalistes citoyens, les défenseurs des droits de l’Homme ou les simples croyants des religions « non-reconnues ». La France avait d’ailleurs demandé lors de l’Examen Périodique Universel du Vietnam devant l’ONU en 2014, l’abrogation ou la révision de ces articles pour prévenir toute atteinte à la liberté d’opinion et d’expression. Le Vietnam n’a rien fait.

C’est ainsi qu’en toute « légalité », le régime de M. Nguyen Phu Trong arrête, condamne et emprisonne arbitrairement des dizaines de militants de la société civile — 62 rien que pour les 14 derniers mois. L’on compte au moins 130 prisonniers de conscience au Vietnam, comme le blogueur Nguyen Huu Vinh (condamné à 5 ans de prison), ancien membre du PCV, les défenseures des droits de l’Homme Me Nam Nguyen Ngoc Nhu Quynh (10 ans de prison) et Tran Thi Nga (9 ans de prison). Toutes deux mères de jeunes enfants, elles ont récemment été envoyées dans des prisons à plus de 1000 km de chez elles. Le militant des droits sociaux Nguyen Van Oai (5 ans de prison) vient de connaître le même sort. L’avocat des droits de l’Homme Nguyen Van Dai, arrêté en décembre 2016, attend toujours son procès pour « tentative visant à renverser le gouvernement » (passible de la peine de mort).

Quant aux religions, l’État impose un régime draconien d’enregistrement et les communautés religieuses « non-reconnues » souffrent de persécutions au quotidien, comme l’Église Bouddhique Unifiée du Vietnam (Église historique, indépendante et dont le Patriarche Thich Quang Do est en détention depuis plus de 35 ans sous diverses formes), les Églises protestantes des minorités ethniques (Montagnards, Hmongs…), les Caodaïstes et les Bouddhistes Hoa Hao (dont 10 ont été arbitrairement condamnés à des peines allant jusqu’à 12 ans de prison au début de cette année).

S’il est en soi déplorable de voir bafoués les droits les plus fondamentaux, la politique d’étouffement de la société civile du Vietnam devient dramatique pour les simples gens dans leur vie quotidienne. Ils n’ont aucun moyen de se défendre ni de se plaindre : il n’y a pas de presse libre, pas de syndicat libre, pas de justice indépendante et impartiale. En avril 2016, le centre du Vietnam a connu la pire pollution industrielle jamais vue dans le pays avec le déversement dans la mer par Formosa de produits chimiques toxiques conduisant à la contamination de près de 200 km de côtes et la mort de centaines de tonnes de poissons, dans une région où la pêche est vitale pour les habitants. Les victimes n’ont pas été indemnisées et sont réprimées lorsqu’elles veulent porter plainte ou simplement faire part de leur désarroi. Le Dr Ho Van Hai qui s’inquiétait particulièrement de la toxicité de cette pollution et de la santé des victimes vient d’être condamné à 4 ans de prison et 2 ans d’assignation à résidence pour « propagande contre l’État ».

Il n’est pas bon non plus de parler des conditions de travail. A la suite d’un rapport sur les ouvrières de l’industrie électronique dénonçant les violations du droit du travail dans les usines et les problèmes de santé (fausses couches, grande fatigue, syncopes…) des ouvrières exposées aux produits toxiques, son auteur, Mme Pham Thi Minh Hang, a été intimidée avec une convocation à une « entrevue » avec les autorités. Parallèlement, les ouvrières ont été menacées de poursuites judiciaires si elles parlaient des conditions de travail à des personnes étrangères aux usines.

Monsieur le Président,

Nous ne dénions pas l’importance du développement des relations entre la France et le Vietnam, mais il ne faut pas qu’il se fasse au détriment de l’âme de la Patrie des droits de l’Homme et du bien-être du peuple vietnamien. Vous ne pouvez pas accueillir un dictateur comme M. Nguyen Phu Trong sans peser de toute votre autorité pour que le Vietnam respecte et garantisse enfin les droits fondamentaux comme il s’y est engagé devant la communauté internationale.

Il est impératif que la France exige haut et fort que le Vietnam remplisse ses obligations internationales en matière de droits humains, en commençant par la libération immédiate et inconditionnelle des prisonniers de conscience, la fin des harcèlements, agressions et autres formes d’intimidation contre les militants de la société civile et les défenseurs des droits de l’Homme, ainsi que la fin des persécutions religieuses. A terme, le Vietnam doit démanteler son arsenal de lois anti-droits de l’Homme. Ne rien demander serait la cause d’une immense déception de la société civile vietnamienne toute entière.

Paris, le 26 mars 2018

Lettre signée par : Dimitris Christopoulos (Président de la FIDH) ; Vo Van Ai (Président du Comité vietnam pour la défense des droits de l’Homme – VCHR) ; Malik Salemkour (Président de la Ligue des Droits de l’Homme – LDH)

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